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    Et maintenant … ? Feuille de route pour une économie mauricienne robuste et autonome

     

    Jean-Luc Wilain, consultant en durabilité et directeur de WillChange

     

    L’indépendance en 2068 – les défis d’aujourd’hui, a été publié le 12 mars 2021. Tout un symbole. Au moment où la menace climatique se fait de plus en plus pressante, ce livre montre ce qui nous attend à l’horizon d’une génération et identifie nos ressources pour nous y préparer. Entre-temps, la publication du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) du 9 août a encore plus réduit nos marges de manœuvre. Cet article est le coup d’envoi d’une réflexion qui vise à établir une feuille de route jusqu’au centenaire de notre indépendance[1], pour laquelle nous serons guidés par la recherche des souverainetés dans les domaines alimentaires, énergétique et économique.

    Gouvernance climatique

    Maurice n’a jamais autant parlé de résilience depuis la pandémie de 2020. Or, des remises en question bien plus profondes et menaçantes nous attendent à un horizon plus proche qu’il n’y paraît. Nous subissons déjà les premiers effets du réchauffement climatique. Une humanité globalement toujours plus nombreuse et gourmande accentue ses pressions sur les ressources et la biodiversité. L’économie mondiale cherche un second souffle depuis le début de ce siècle. L’indépendance, énergétique, alimentaire et financière, doit impérativement être la boussole nationale des 50 prochaines années. C’est notre défi individuel et collectif. Cela doit se traduire par une feuille de route agressive et exigeante qui nous donne comme objectif clair de ne plus être dépendant des autres pour des choses essentielles quand ces dangers vont se matérialiser.

    Maurice est une petite coquille de noix posée sur l’océan en périphérie du monde. Nous représentons un peu plus de 1/10 000e de la population mondiale, des émissions de gaz à effet de serre et de l’économie mondiale, 1% de 1%…  Nous produisons peu d’émissions et subissons beaucoup. Mais nous sommes un pays. Nous avons une voix à l’ONU. Comme les grands. Elle ne peut être crédible et entendue que si nous sommes exemplaires dans notre gouvernance climatique et notre gouvernance tout court. Chacun, quelle que soit sa taille, doit faire sa part, c’est le sens de l’Accord de Paris. C’est cela qui nous donnera du soft power. C’est pour cela que nous devons travailler pour améliorer nos institutions et leur fonctionnement. C’est le premier sujet de cette feuille de route.

    Responsabilité Individuelle

    Cette exigence se décline aussi sur nos pratiques individuelles. Chacun d’entre nous est responsable de ses émissions et de ses choix de vie au même titre qu’un Chinois ou un Américain de niveau de vie équivalent. Tous les êtres humains à niveaux de vie comparables partagent la même responsabilité. C’est le deuxième sujet de cette feuille de route.

    Évidemment, ces sujets de souveraineté alimentaire et énergétique ont été identifiés et de nombreux individus et organisations ont commencé à y travailler. Mais la gravité et l’urgence de la situation, mises en perspective de l’inertie du système, ne ressortent pas dans les communications sur ce sujet. Or, il est indispensable d’insister sur deux éléments essentiels :

    1. L’urgence du Réchauffement Climatique

    La première concerne l’extrême gravité des conséquences du réchauffement climatique. Elle n’est pas encore intégrée par l’écrasante majorité de la population et des dirigeants, à Maurice comme ailleurs. Nous déréglons le climat depuis le début de l’ère industrielle, alors que sa stabilité a permis le développement socio-économique de notre espèce depuis sa sédentarisation. En ce moment même, les dirigeants mondiaux « négocient » pour savoir si la CoP 26 doit retenir comme objectif de maintenir l’augmentation de la température de la planète depuis l’ère préindustrielle en dessous de 2°C ou de viser à la limiter à 1,5°C. Ceci paraît un débat surréaliste quand on sait que nous nous dirigeons vers un réchauffement de la planète de + 5 degrés actuellement en dépit de leurs discussions précédentes, que les engagements de Paris (non respectés) nous emmèneraient vers un réchauffement de 3 degrés[2], et que nous serons déjà à +1,5 degré entre 2030 et 2040[3]. Ce dont ils devraient discuter est de prendre les mesures les plus radicales possibles le plus rapidement possible. Chaque dixième de degré gagné économisera un coût terrible pour l’humanité. Les dégâts augmentent de façon exponentielle avec la température. Si nous ne changeons pas radicalement de cap, le pire que craignent les scientifiques va se matérialiser. Dans ce scénario, les trois-quarts de l’humanité vivront dans des conditions de température et d’humidité pouvant entraîner la mort pendant plus de 20 jours par an[4]. Notre agriculture intensive et spécialisée sera bouleversée, ce qui se traduira par des famines massives et répétées. La montée des eaux repoussera progressivement plus de la moitié de l’humanité et de ses infrastructures vers l’intérieur des terres[5]. Elle érodera notamment une part importante du territoire mauricien déjà exigu. Des migrations non moins massives se produiront, car ce sera la seule façon d’échapper à ces fléaux, provoquant inévitablement des déstabilisations politiques et des conflits majeurs. Un monde « à 3 degrés » ou plus sera un monde extrêmement dangereux[6]. Le monde de demain sera le bûcher des vanités[7]. C’est surtout un monde dans lequel la lutte pour les ressources essentielles va devenir de plus en plus féroce. Et nous sommes un Petit Poucet. Tout petit.

    2. Vers une dynamique économique et institutionnelle plus autonome

    La seconde est l’impérieux besoin de construire une économie mauricienne dont la santé dépende moins de celle du reste du monde. Indépendamment de la crise du SARS-COV2 qui a mobilisé, voire occulté, les esprits, l’état de l’économie mondiale n’est pas celui que nous montre l’indicateur PIB[8]. En effet ce dernier est artificiellement gonflé par les Assouplissements Quantitatifs très à la mode depuis 2008. Clairement la crise du SARS-COV2 va être le bouc émissaire idéal. Cette erreur d’analyse conduit à penser que les problèmes disparaîtront avec lui et à trop attendre d’un rebond économique mondial qui ne se produira pas au-delà d’une reprise technique post-COVID [9]. Maurice doit apprendre à être prospère sur sa dynamique propre. Nous dépendons trop des bailleurs de fonds pour notre équilibre budgétaire, nous dépendons trop des autres pour le tourisme, nous dépendons trop des règlements internationaux pour notre global business : que des éléments que nous ne contrôlons pas, voire qui nous contrôlent. Maurice ne peut aller bien dans un monde qui va mal si elle en dépend pour tout, ce qui est le cas aujourd’hui. Maurice ne peut être un état souverain si les paramètres de son économie sont fixés par d’autres, ce qui est aussi le cas aujourd’hui. Évidemment cet appel ne remet pas en cause l’ouverture économique et les échanges dans le cadre d’un marché globalisé. Mais nous devons nous écarter des commoditisations et de leur corolaire les économies d’échelles afin de développer de la valeur ajoutée locale pour les besoins locaux.

    Souveraineté alimentaire et énergétique

    Dans l’histoire, les famines ont toujours été un facteur d’instabilité, voire de révoltes. Ventre affamé n’a pas d’oreille. Les risques que le réchauffement climatique fait peser sur les agricultures mondiales[10] doit nous inciter à organiser notre auto-suffisance à Maurice. C’est le troisième sujet de cette feuille de route.

    Enfin l’énergie est à la base de toute notre vie moderne et notamment celui de notre économie. Une énergie locale et décarbonée doit répondre aux besoins légitimes de la population. La transition vers une économie bas carbone ne comprend pas que la production d’électricité, mais aussi la mobilité et le transport, la production industrielle, la construction, etc. Tout un tas de facteurs qui vont constituer le quatrième sujet de cette feuille de route.

    Évidemment, nous avons d’autres dépendances : technologique, sanitaire, éducative, etc. Il ne s’agit pas de vivre en autarcie, mais au moins d’assurer ce qui pourrait à coup sûr détruire notre société et ce qui ne manquera pas de la mettre ponctuellement sous très grande tension. Il ne manque pas non plus d’autres défis propres à Maurice et à son fonctionnement. Mais il faut choisir ses combats. Nous choisissons ces deux thèmes en priorité car sans énergie, il n’y a pas d’économie et sans nourriture, il n’y a pas de société.

    Vers des projets locaux alternatifs

    Enfin, au-delà de ces aspects techniques, comment vivre avec une augmentation de température de 1,5 degré avant 2040 et très probablement supérieure à 2 degrés en 2100 ? Nous devons répondre dès maintenant avec des projets locaux alternatifs. Ils mettront du temps à se développer pour atteindre la masse nécessaire qui permettra de répondre efficacement à ce défi. Ils devront aborder tous les sujets ci-dessus exposés sans oublier le plus important : vivre ensemble en bonne intelligence. Et ce sera le cinquième sujet de cette feuille de route.

    Redonner de la valeur à l’humain et aux écosystèmes

    Notre éducation nous conduit à traiter les problèmes en silos[11]. Nos entreprises sont organisées en départements, notre gouvernement en ministères. Tout est fait pour privilégier une seule dimension de problèmes complexes, pour ensuite les ramener au seul critère financier. Il va falloir apprendre à penser autrement. Si un monde bas carbone était moins cher, on serait déjà dedans. On ne doit pas continuer à voir l’avenir à travers des modèles qui ont prouvé leur inadéquation. Par ailleurs, Maurice a l’échelle d’une ville d’un million d’habitants, échelle de laboratoire pour tester toutes les innovations, mais trop petit pour toute économie d’échelle ou stratégie de mutualisation. C’est dans ce contexte, qu’il s’agira de définir notre plan. Ce facteur est transversal à toute approche, à toute solution. La Blue Economy[12] de Gunter Pauli nous enseigne une autre façon de voir. Elle nous invite à considérer les choses dans leur ensemble, les interactions vertueuses, les multiples cash-flows qui peuvent être produits par des portefeuilles d’opportunités. Et surtout, à redonner de la valeur à l’humain et aux écosystèmes dans nos équations.

    Nourris de cette inspiration, nous nous emploierons à proposer une feuille de route qui aura pour ambition de répondre à ces défis avec des projets concrets pour notre île. Nous devrons certainement faire fi de nombreuses contraintes existantes liées à des conventions humaines actuelles, culturelles, juridiques ou réglementaires. Il ne faudra y voir aucun mépris de notre part, mais seulement le fait que les lois naturelles, biologie, physique, chimie, s’imposent à l’Homme et non le contraire. La nécessité devra éliminer les obstacles que nous avons nous-mêmes dressés. Tous ces sujets techniques prennent leurs sources dans l’humain.

    Cet article est donc introductif d’une série d’articles suivants qui se positionneront en faveur d’une nouvelle donne économique et sociale par rapport au référentiel suivant :

    • gouvernance,
    • responsabilité individuelle,
    • souveraineté énergétique,
    • souveraineté alimentaire,
    • vivre ensemble.

    Des contributeurs se sont déjà manifestés afin d’avancer sur tous ces sujets. D’autres peuvent encore le faire. Le temps est compté, la planète entière parle du dernier rapport du GIEC et de l’urgence d’agir. Peut-être cela est-il enfin compris. C’est la première fois qu’une publication du GIEC suscite autant de commentaires. Peut-être sommes-nous dans ce que nous appelons ici un tipping point. C’est le moment de pousser, partager, écrire, agir, faire et faire savoir. Victor Hugo aurait certainement dit en ces circonstances :

    Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée.

     

    Main Photo by Robert Bye on Unsplash

    Charles Telfair Centre is an independent nonpartisan not for profit organisation and does not take specific positions. All views, positions, and conclusions expressed in our publications are solely those of the author(s).


    [1] Wilain, J-L (2021) L’indépendance en 2068 – les défis d’aujourd’hui, voir appel page 289

    [2] Indépendance en 2068. Page 64. EDGAR V3.4.2 FT2016 (OLIVIER ET AL., 2017)

    [3] Rapport IPPC / GIEC AR6

    [4] Mora, C., Dousset, B., Caldwell, I. et al. Global risk of deadly heat. Nature Clim Change 7, 501–506 (2017). https://doi.org/10.1038/nclimate3322

    [5] Au-delà de2100

    [6] Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN. Die Welt. 27 Septembre 2020.

    [7] Tom Wolfe – 1987.

    [8] Ibid 1, Page 179.

    [9] L’indépendance en 2068. Page 171 et suivantes, notamment L’âge d’or de la monnaie de singe.

    [10] L’indépendance en 2068. Page 158 et suivantes.

    [11] À commencer par l’école qui nous enseigne des matières comme étant indépendantes les unes des autres.

    [12] Rapport au Club de Rome. Publié en Juin 2010.

     

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