Caroline Perrin, Doctorante en sciences de gestion, Université de Strasbourg
Jérémie Bertrand, Professeur de finance, IÉSEG School of Management
En dépit d’un nombre croissant d’initiatives juridiques, la discrimination contre les femmes demeure omniprésente dans le monde, et ce plus spécifiquement dans l’accès aux services bancaires. En 2008, la Banque du Ghana édictait par exemple le « Borrowers and Lenders Act » destiné à prohiber toute forme de discrimination dans l’allocation de crédit. Or, selon des études menées par la Société financière internationale (IFC), seulement 11 % des entreprises qui reçoivent des financements de démarrage sont dirigées par des femmes.
En somme, en 2018, plus de 70 % des entreprises en besoin de financement dirigées par des femmes dans les pays en développement n’ont pu obtenir de crédit ou ne se sont pas vu attribuer le montant demandé. Peut-on alors réellement considérer qu’une législation favorable aux femmes protège ces dernières dans l’accès au crédit ?
Dans un récent travail, nous avons étudié les effets des clauses constitutionnelles et des lois imposant l’égalité des sexes sur l’accès au crédit. Nous avons évalué, d’une part, si ces réglementations encourageaient les femmes à formuler une demande de crédit et,d’autre part, si les textes limitaient le biais de sélection genré au sein des institutions bancaires.
Découragement émotionnel
Nous avons d’abord observé que, du côté de la demande, c’est-à-dire des femmes candidates au crédit, un cadre légal favorable augmente substantiellement le nombre de demandes de prêts émanant de ces dernières. Pourquoi ? La littérature a, à maintes reprises, démontré que les femmes présentaient une aversion au risque beaucoup plus marquée que leurs homologues masculins. Ainsi, la potentielle candidate aura tendance à se résigner de manière plus systématique si elle a conscience que ses chances de refus de prêt sont plus importantes.
Les données dont nous disposions nous ont également permis d’identifier le découragement explicitement lié à la peur de voir sa demande de prêt refusé, autrement dit le découragement émotionnel. Celui-ci était également modéré si le pays étudié proposait une clause de nature anti-discriminatoire : les femmes présentent en effet un raisonnement s’appuyant davantage sur l’émotion et sont plus sensibles à la pression des pairs, donc à la probabilité d’être confrontée à une réponse négative dans leur candidature. Les femmes perçoivent donc le cadre légal comme un facteur déterminant en termes d’accès au crédit.
Quid de l’effet de la culture locale ? Les résultats demeurent similaires, même en prenant en compte le degré de masculinité, c’est-à-dire le niveau de distinction entre les rôles exclusivement féminins et les rôles exclusivement masculins. Toutefois, l’effet du cadre légal sur le découragement des femmes s’élimine si le pays observé est de confession majoritairement musulmane, suggérant une prépondérance des prescriptions religieuses sur la loi.
Faire appliquer les lois
Cependant, du côté de l’offre, un environnement juridique favorable aux femmes ne semble pas inférer dans la prise de décision des institutions bancaires. En dépit d’une juridiction explicite, le comportement des prêteurs à l’égard des candidates reste inchangé, même en prenant en compte du niveau de risque du postulant.
Une telle observation suggère une dichotomie entre le de jure et le de facto. Autrement dit, un décalage persiste entre les exigences juridiques formelles et la réalité opérationnelle. En cause, une prévalence supposée des normes sociales sur le cadre légal en vigueur résultant d’une pression sociale, ou tout simplement des habitudes.
Même si une population est convaincue de la nécessité d’édicter et d’appliquer une loi, cette dernière reste insuffisante si personne n’éprouve d’intérêt direct à agir pratiquement en la respectant. Dans un tel contexte, seule la primauté de la loi (couramment dénommée « Rule of Law ») permettra de déterminer le niveau de convergence entre le droit tel qu’il est voté et sa mise en application.
Ainsi, afin de contrecarrer la quasi-immuabilité des conditions d’accès au crédit pour les femmes, la priorité devrait désormais être donnée pour les gouvernements et leurs instances judiciaires de veiller à ce que les lois édictées soient appliquées.
Laurent Weill, professeur d’économie et de finance à l’Université de Strasbourg, a supervisé la rédaction de cet article.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Charles Telfair Centre is an independent nonpartisan not for profit organisation and does not take specific positions. All views, positions, and conclusions expressed in our publications are solely those of the author(s).
Main Photo : Flickr / UN Women Asia and the Pacific, CC BY-SA