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    Direction d’entreprise : les femmes perdent du terrain. Elles doivent être stratégiques, mais la culture doit aussi changer

     

    Louise Champoux-Paillé, Cadre en exercice, John Molson School of Business, Concordia University, Canada

    Anne-Marie Croteau, Dean, John Molson School of Business, Concordia University, Canada

     

    Récemment, le cabinet McKinsey publiait sa huitième étude sur l’avancement des femmes dans le monde des entreprises (Women in the Workplace 2022). Bien que portant sur les grandes entreprises états-uniennes, elle comporte de nombreux constats qui laissent présager un avenir où la représentation des femmes au sein des postes de haute direction se fera de plus en plus rare et exigera des femmes davantage d’endurance, de persévérance et de combativité pour y demeurer.

    Qui y perdra : les femmes, les hommes ainsi que la société dans son ensemble.

    Certains constats de l’étude sont préoccupants :

        1. Au cours de la dernière année, les femmes leaders ont quitté leur emploi à un rythme plus élevé que leurs collègues masculins et cet écart est le plus important depuis les cinq dernières années ;
        2. Une représentation moins forte des femmes dans les postes d’ingénierie et de technologie comparativement à 2018 fait en sorte qu’aujourd’hui, comparativement à cette dernière année de référence, les hommes y sont 2,5 fois davantage représentés qu’en 2018. Un résultat hautement préoccupant puisque ce secteur est celui qui connaît la plus forte croissance et où on retrouve les emplois les mieux rémunérés.

    Respectivement doyenne de l’École de gestion John Molson et experte depuis plusieurs décennies de la place des femmes dans les hautes sphères du milieu des affaires, nous sommes préoccupées par cette régression.

    Le malaise va au-delà de la conciliation travail-famille

    Quelles sont les raisons qui conduisent ces femmes à se retirer du marché du travail après avoir atteint des postes de leadership ou à chercher un nouvel emploi davantage respectueux de leurs priorités et valeurs ?

    Les difficultés à concilier travail-famille et vie personnelle sont certes présentes, mais d’autres raisons méritent d’être mentionnées et relèvent davantage de la qualité du milieu de travail comparativement aux hommes :

        1. Le manque de reconnaissance : 37 % des femmes leaders voient leurs bonnes idées être reprises au crédit d’autres collègues, alors que ce phénomène de mauvaise appropriation arrive à 27 % des hommes ;
        2. La remise en question fréquente de leurs décisions par leurs collègues masculins sous prétexte qu’elles ne disposent pas des compétences appropriées pour les prendre ;
        3. Un accès plus difficile à des promotions en raison de leur sexe ou de leurs responsabilités familiales ;
        4. Les microagressions
        5. Le manque d’engagement de l’entreprise en regard de la diversité, de l’inclusion et de l’équité (DEI)

    Accéder aux plus hautes fonctions, mais pas à n’importe quel prix

    Un élément important à souligner est l’évolution des besoins des femmes au cours des deux dernières années en regard de leur milieu de travail.

    Tant les femmes leaders que celles qui ont moins 30 ans disent que les possibilités d’avancement sont l’élément qui les préoccupent le plus. Les plus jeunes accordent en sus une priorité plus forte à la flexibilité et l’engagement des entreprises vers le bien-être au travail et les programmes DEI.

    De plus, les jeunes femmes disent qu’elles seraient davantage intéressées à devenir leader si elles pouvaient avoir comme modèle un plus grand nombre de femmes dirigeantes parvenant à atteindre l’équilibre travail-famille qu’elles souhaitent.

    De tels constats sont préoccupants, puisque la rétention des femmes dans des postes de direction et le maintien d’un vivier riche en potentiel féminin seront sûrement freinés dans l’avenir par la qualité de vie au travail et au bien-être des employés.

    La récente étude de Viviane de Beaufort, professeure à l’ESSEC, menée auprès de 295 femmes françaises dirigeantes sur leurs aspirations professionnelles permet d’aller plus loin dans ces constats : les femmes veulent bien accéder aux plus hautes fonctions mais pas à n’importe quel prix. Cette étude ajoute des éléments explicatifs fort intéressants à cette grande désillusion féminine : le décalage du discours, la gouvernance non éthique, l’entre-soi persistant, la non-exemplarité des dirigeants et le manque de confiance dans les collaborateurs.

    Le marché du travail va-t-il se masculiniser à nouveau?

    On peut penser que si cette tendance se poursuit, ce pas de côté, comme le dit si bien Viviane de Beaufort, se traduira, au cours des prochaines années, par des lieux de pouvoir qui redeviendront davantage masculins.

    Cette tendance pourrait être même accentuée par un autre phénomène, le travail à la maison, privilégié par les femmes afin de leur assurer un meilleur équilibre de vie. Comme dit le proverbe, loin des yeux, loin du cœur. Ainsi, le manque de contacts et de visibilité sur les lieux du travail pourrait faire en sorte que moins de femmes pourraient être promues à des postes de direction ou considérées sur la liste des candidats pour des postes de direction.

    Une tendance à une raréfaction des nominations féminines à des postes de direction créera à nouveau un marché du travail à dominance masculine, lequel est peu propice à l’inclusion et au développement du leadership féminin. De plus, cette raréfaction diminuera la possibilité pour les jeunes aspirantes leaders de rencontrer d’autres femmes d’expérience qui pourraient leur servir de rôle modèle. Le réseau de soutien féminin au sein des entreprises diminuera et par conséquent, limitera le nombre de sponsores et mentores auxquelles ces jeunes décideuses en devenir ont tant besoin.

    Un autre phénomène qui émerge suite à la pandémie est l’augmentation des difficultés d’apprentissage chez certains enfants. Ce sont souvent aux femmes que revient la tâche d’aide. Cette responsabilité additionnelle élève donc une autre barrière à l’avancement de carrière des jeunes femmes.

    Des compétences nouvelles

    Comme nous en discutions dans un article précédent, le cheminement de carrière au sein des moyennes et grandes organisations est plutôt linéaire. Il repose sur les connaissances, les expériences, les relations développées au fil du temps et le pouvoir progressivement acquis au fur et à mesure que les échelons sont franchis.

    Cette progression plutôt typique ne tient pas compte de la vision périphérique qu’il est maintenant nécessaire d’acquérir afin de créer de la valeur autant financière qu’extrafinancière pour l’organisation. En effet, les attentes envers les organisations pour qu’elles contribuent à la protection de l’environnement, aux besoins de la société et d’une meilleure gouvernance (ESG) demandent des compétences nouvelles, souvent moins traditionnelles : des connaissances approfondies en développement durable, en politiques publiques ou encore en sciences de l’environnement. Ces disciplines sont davantage populaires auprès des femmes que des hommes, de sorte que cela ouvre la voie à une nouvelle forme de promotion pour les femmes.

    Un monde du travail à réinventer

    Nous avons également pris conscience de l’importance de réimaginer le travail dans une perspective de mieux-être et d’équilibre. Cet élément constitue désormais une priorité des hauts dirigeants, selon les conclusions d’une étude récente de la firme Deloitte. Les organisations doivent offrir plus d’un parcours professionnel prometteur à leurs employés, favorisant une excellence inclusive où les mesures de performance sont repensées à la lumière des principes de DEI et de ESG.

    L’acquisition de nouveaux talents et la rétention du personnel constitueront les plus grands défis de l’avenir en matière de gestion des risques des ressources humaines. Une nouvelle façon d’imaginer le travail et la progression des ressources humaines au sein de l’organisation devra en émerger et favoriser une meilleure harmonisation des exigences d’une vie familiale, professionnelle et personnelle.

    Les femmes sont ambitieuses et veulent évoluer au sein de leur organisation et de la société. Il est donc de notre responsabilité collective de réajuster nos façons de faire, de rester à l’affût de nos biais inconscients tout en restant rigoureux et clair sur les objectifs corporatifs à atteindre. Cet objectif à atteindre est certes ambitieux, mais ce sera le pilier d’une meilleure équité dans le monde du travail pour les femmes et les hommes.The Conversation

    Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

    Main photo by Christina @ wocintechchat.com on Unsplash.

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